Rolls-Royce

LES ROLLS ROYCE SILVER SHADOW ET BENTLEY T

Il y a quarante-trois ans sortaient de l’usine de Crewe les premiers exemplaires des RollsRoyce Silver Shadow (ombre d’argent) et Bentley Série T, des modèles qui allaient résolument rajeunir l’image d’un constructeur dont les voitures étaient devenues, au fil des années, assez désuètes. 

La presse en parlait depuis quelque temps déjà, mais c’est officiel à compter du Salon de Paris 1965 : Rolls est en baisse. En baisse ? Oui, de quatorze centimètres exactement. C’est ainsi : tous les dix ans, les Rolls-Royce (2.000 unités construites chaque année) changent de carrosserie. Pour remplacer ses Silver Cloud III / Bentley S3 apparues sous leur forme initiale en avril 1955, les ingénieurs maison, et en particulier le bureau de design dirigé par John P. Blatchley, ont longuement étudié un modèle assez compact (longueur 5,17 m, largeur 1,80 m), aux lignes abaissées (la hauteur n’est que de 1,52 m), dont la calandre n’est pas plus haute que large et dont les lignes « ponton » vont bouleverser les habitudes des clients, habitués aux ailes proéminentes des anciens modèles. 

C’est une révolte ? Non, Sire, c’est une révolution

La seconde révolution est invisible et concerne la structure de la caisse. La nouvelle Rolls est construite autour d’une carrosserie monocoque en acier, sur laquelle viennent se greffer deux fauxchâssis, l’un à l’avant, destiné à soutenir l’imposant ensemble moteur-boîte, l’autre à l’arrière, pour le différentiel et la suspension. Les roues arrière sont indépendantes : il était temps que Rolls-Royce adopte cette caractéristique depuis longtemps quasiment généralisée même chez les constructeurs « démocratiques » ! Troisième révolution : la suspension assurée par des ressorts hélicoïdaux se double d’un système de réglage de hauteur et de contrôle automatique de l’assiette du véhicule, une solution pour laquelle le constructeur de Crewe paie des royalties à… Citroën ! À partir de 1969, ce dispositif sera réservé aux seules roues arrière, un peu comme sur une Citroën 15 H. Quatrième révolution : des freins à disques sur les quatre roues, la marque ayant jusque-là préféré s’en tenir aux freins à tambour, jugés moins bruyants ; mais les progrès réalisés par les équipementiers ont décidé les ingénieurs à adopter une solution plus conforme au gabarit et au poids de la voiture (2.100 kg à vide, quand même !) ; le système de freinage est à triple circuit.

Quelle mouche a donc piqué Rolls-Royce ? En fait, l’insecte dont l’aiguillon est resté dans le cuir pourtant épais du constructeur de Crewe vient d’Allemagne et porte le nom de Mercedes-Benz. Moderne et élégante, la « 600 » présentée au Salon de Francfort 1963 est une rivale très sérieuse et très perfectionnée qui, depuis deux ans déjà, fait un malheur auprès des décideurs et des chefs d’État du monde entier ; l’Angleterre se devait donc de réagir à la menace germanique… 

Comme son prédécesseur, le nouveau modèle est disponible sous les deux marques Rolls-Royce et Bentley, les différences se limitant à la présence d’une calandre emboutie sur la Bentley et réalisée à la main en acier inoxydable sur la Rolls. Le prix de la Bentley en est légèrement diminué : en octobre 1966, une berline Série T coûtera 123.000 F contre 125.000 F pour la Rolls correspondante ; pour situer les idées, le nouveau coupé Bentley Continental T vaudra alors 178.000 F, près de dix fois le prix qu’une Citroën DS 21 facturée 18.535 F… À partir de 1969, pour concurrencer la Mercedes 600 Pullmann, Crewe proposera aussi une Shadow à châssis allongé, dite « LWB » (long wheel base). 

La loi du silence 

Pour le reste, les caractéristiques techniques ne désorienteront pas les fidèles de la marque : la voiture est, dixit le catalogue, « d’une facture moderne tout en conservant toutes les caractéristiques de qualité et de finition que l’on associe au nom de Rolls-Royce et Bentley ». L’âme du véhicule reste donc un V8 construit en aluminium, d’une cylindrée de 6.230 cm3 (elle passera à 6.750 cm3 en 1969, sur les modèles export puis sur toute la gamme). Le moteur a vu sa puissance améliorée grâce à des têtes de cylindres redessinées ; il est accouplé à une boîte automatique comportant quatre vitesses lorsque la voiture est livrée en conduite à droite, trois pour les marchés où la voiture est livrée en conduite à gauche, y compris les marchés nord-américains. La technique de cette boîte est proche de l’Hydramatic de General Motors. 

Autre habitude à laquelle l’usine n’entend pas déroger : celle du secret. On ne trouvera en effet sur le catalogue aucune mention de la puissance réelle dudit moteur : elle est « suffisante », dit-on chez Rolls ; on peut l’estimer à 280 ch environ). Pas de mention non plus de la vitesse maximale : on prétend, à Crewe, n’avoir l’intention de faire la course avec personne ; quoi qu’il en soit, les 190 km/h sont atteints sans problème. Enfin, le constructeur n’indique pas la consommation en carburant, qui représente il est vrai un problème secondaire pour le possesseur d’une voiture de 36 CV fiscaux ; Rolls-Royce affirme simplement que ce poste ne peut réserver qu’une heureuse surprise à la clientèle…

Coupé, ou berlinette ?  

Initialement présentée en berline 4 portes, la Silver Shadow / série T va être rapidement épaulée par des exécutions spéciales préparées par les carrossiers attitrés par la firme, qui se partagent depuis longtemps la réalisation des Rolls / Bentley hors série (si tant est qu’on puisse parler de « série » pour de tels modèles). James Young tire le premier en présentant dès le Salon de Londres 1965 un coupé Rolls et un coupé Bentley sur la base des nouveaux modèles ; ces réalisations conservent les lignes rectilignes d’origine et se présentent donc plutôt comme de « simples » dérivés à deux portes. En revanche, la « berlinette » présentée au mois de mars suivant à Genève par H. J. Mulliner, qui a fusionné depuis 1961 avec le carrossier Park Ward, fait l’unanimité avec sa ceinture de caisse élégamment galbée qui lui confère une image moins raide, plus sportive, plus exclusive. Aussi le constructeur intégrera-t-il la carrosserie Mulliner dans son catalogue pour 1967, tandis que le coupé James Young ne sera pas fabriqué à plus de 35 exemplaires en version Rolls-Royce et 15 en version Bentley. Il est vrai que Mulliner et Park Ward appartiennent à la firme de Crewe, respectivement depuis 1939 et 1959… 

Aujourd’hui, acheter une berline Silver Shadow 1 ou une Série T1 est un rêve presque accessible, car la cote de ces voitures qui furent assez diffusées (voir ci-dessous) reste raisonnable (20.000 € pour un modèle en bon état) au regard des caractéristiques du véhicule ; cependant, si le prix d’achat paraît accessible, on sera bien inspiré de prévoir un généreux budget « entretien » pour conserver à sa belle les prestations que laisse attendre son nom prestigieux. 

Production des Rolls-Royce Silver Shadow et Bentley Série T 1res séries

22.473 exemplaires (1965-1977)

  RR Silver Shadow Bentley T1
Châssis courts
Berlines 4 portes châssis court 16.717  1.703
Berlines 2 portes châssis court 606 (dont 35 JamesYoung) 114 (dont 15 James Young)
Coupés 1 1 (Pininfarina, 1968 ;  préfigure la RR Camargue)
Cabriolets 505 41
Châssis longs
Berlines 4 portes  2.776 9
TOTAL 20.605 1.868

Patrick Maendly